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déterminisme
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Désespérant déterminisme
On ne niera pas que le problème se posait… C’est qu’il ait été convenablement résolu par cette restauration qui est plus discutable. Pourtant – à leur corps défendant ? -, même des figures qu’on pourrait assimiler a l’humeur structuraliste semble l’avoir validé à leur manier. N’est-il pas symptomatique de retrouver la même évocation sous la plume de Braudel et de Bourdieu qui, dans un registre relâché et comme en marge de l’élaboration théorique, se laissent aller a estimer les marges que le poids des structures laisse a la liberté humaine : « notre petite marge de liberté […] pour échapper aux lois, aux nécessités, au déterminisme », dit Bourdieu, « 5% de liberté », évalue Braudel au doigt évidemment mouille contre les rapports sociaux qui pèsent pour tout le reste. « Petite marge » ou « 5% », c’est donc que la liberté conserve quelques interstices sans lesquels le changement historique n’aurait aucune ressource ni aucune chance. Ainsi, même des penseurs qui ont su faire face au poids des déterminismes n’ont pu faire face aux « marges de liberté » - et passer des déterminismes au déterminisme. Ceci peut-être parce que, du déterminisme, ils se sont donne une idée qualifiée : les déterminismes sociaux. Spinoza pour sa part ne transige pas. Il y a le déterminisme et rien d’autre. Au demeurant, ça ne peut pas être une question quantitative. La liberté se pose un problème philosophique identique qu’elle soit réduite a des marges ou supposée intégralement régnante. Et dans l’épaisseur de ce problème, Spinoza tranche avec conséquence. Non d’ailleurs sans renvoyer la charge de la preuve a qui de droit. Car ce sont plutôt les défenseurs du libre arbitre qui ont a s’expliquer. Comment l’homme pourrait se justifier d’être « comme un empire dans un empire » ? Quelle sorte de fondement pourrait-il donner a sa revendication d’échapper a la causalité phénoménale qu’il réserve a toute les autres choses de l’univers ? Par quel miracle peut-il parfois s’exonérer de l’enchainement des causes et des effets ? Comment prétend-il authentiquement briser le cours des choses. C’est-à-dire produire des effets sans cause. « La volonté ne peut être appelée cause libre, mais seulement nécessaire» leur répond Spinoza (Eth., 1, 32) – y compris celle de Dieu qui « n’opère pas par la liberté de la volonté », mais par la nécessite de sa nature. Et le corollaire II d'enfoncer le clou : «car la volonté, comme tout le reste, a besoin d'une cause qui la détermine à exister et à opérer d'une manière précise». C'est bien tout ce à quoi l'humanisme ne veut pas se rendre, lui qui tient à l'éminence ontologique de l'homme et refuse la condition à laquelle le ramène Spinoza: celle d'une chose parmi Ies choses. Pour son malheur, Spinoza ne fait pas que tirer le tapis sous ses pieds pour restaurer la cohérence de la nécessité de toute chose: il réengendre génétiquement l'illusion de la liberté — elle aussi nécessaire! — et renvoie la revendication de l'exception au registre de l'imagination égarée: «les hommes se trompent en ce qu'ils se pensent libres, opinion qui consiste seulement en ceci qu'ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes qui les déterminent» (Été, II, 35, scolie). Moment d'accablement on passera à la rigueur sur l'offense ontologique — elle est abstraite... —, mais le verdict d'impossibilité politique, c'en est trop. Car c'est ainsi, le plus souvent, qu'est spontanément compris le déterminisme: si tout est écrit, alors à quoi bon ? Annulation de la politique: nous n'avons plus rien à faire puisque tout est déterminé Évidemment, le contresens est complet. Car il ne se passera que ce que nous aurons fait... en ayant été déterminés à le faire. Et si nous avons été déterminés à ne rien faire, il ne se passera rien. Par exemple, l'idée — fausse — que le déterminisme nous ôte toute possibilité d'action, si elle ne nous ôte rien en elle-même (et pour cause, elle est fausse...). peut, reçue de travers, contribuer (nous déterminer) à désarmer, donc à ne rien faire. Ce qui ne rend pas l'idée vraie pour autant, mais atteste simplement que les déterminations à agir étaient en fait inexistantes, ou trop faibles pour passer le moindre obstacle, même imaginaire. Lorsque le désir d'action est impérieux, il se donne cours et se moque bien de savoir si l'action est libre ou nécessaire, si le déterminisme est un fatalisme, ou quoi que ce soit de ce genre. Et si ce désir est impérieux, c'est qu'il a été déterminé avec ce qu'il faut d'intensité. L'expression courante qui dit « c'était plus fort que moi» n'en restitue-t-elle pas à sa manière la nécessité? En réalité, montre Spinoza, mis à parc la troncature imaginaire produite par l'ignorance des causes qui nous déterminent, nous sommes d'autant plus portés à croire en la contingence et en notre liberté de choix que la balance des affects en nous est tangente. L’un des deux affects opposés en balance l'emporte mais de peu, ou bien un affect est là mais modéré et susceptible d'être aisément défait, et c'est cette indécision, ou ces faibles intensités passionnelles, qui nous ont donné l'impression fausse d'un libre décret de l'esprit, là où le primat écrasant d'un affect était « plus fort que nous». De là que les hommes « croient, pour la plupart, que nous ne faisons librement que ce à quoi nous aspirons légèrement, parce que l'appétit pour ces choses peut aisément être réduit par le souvenir d'autre chose que nous nous rappelons fréquemment, et que nous ne faisons pas du tout librement ce à quoi nous aspirons avec un grand affect et que le souvenir ne peut apaiser» (Éth., III, 2, scolie). Mais qu'une détermination l'emporte de peu ou de beaucoup, c'est toujours une détermination. Et l'idée que certaines seraient plus fortes que nous » (laissant entendre a contrario que nous serions plus forts que certaines autres) n'a simplement pas de sens: toutes opèrent en nous suivant leur force relative, et les plus puissantes feront la résultante (Éth.,1V,7). Ces déterminations les plus puissantes sont-elles celles du passage à l'acte politique, de l'engagement d'une action collective de transformation, ou bien de l'abstention ? C’est ce qu'on verra en situation. Mais la conversion du déterminisme en fatalisme est une erreur de point de vue. Certes, du point de vue de l'entendement infini de Dieu, tout est déterminé. Cependant, le point de vue des hommes est celui de l'entendement fini, c'est-à-dire des idées mutileés et tronquées, c'est pourquoi, à l'image de leurs actions qu'ils croient libre parce qu'ils en ignorent Ies déterminations, la politique leur apparaît comme un monde de contingences et de possibilités. Pourquoi également l'idée du déterminisme leur est déprimante — ou démobilisatrice: on pense inévitablement à la prophétie marxienne de l’avènement nécessaire de la révolution, dont la force de nécessité même semble dispenser Ies hommes de toute action pour la faire advenir vraiment, comme si la révolution était agie par une force supra-humaine, celle de la nécessité historique précisément, dont les hommes finalement n'auraient qu'à être les spectateurs. Mais c'est là le genre d'aberration au sens quasi optique du terme, qui vient typiquement de la confusion des points de vue, les hommes depuis une position de surplomb, c'est-à-dire de l'extérieur du « système», ce qu'ils font depuis leur position au ras des choses, c'est-à-dire à l'intérieur du système, plus encore: ne cessant d'importer le point de vue de l'extérieur dans leur vue et leur action de l'intérieur — en quelque sorte se dédoublant et se regardant faire. Or il est certain qu'a trop se regarder faire, on cesse de faire: on ne fait plus que se regarder — ne faisant plus. Le dédoublement contemplatif se résout en absorption dans la contemplation, c'est-à-dire en arrêt de l'action. La prophétie marxienne, comme point de vue de l'extérieur importé mal à propos à l'intérieur, a ainsi conduit à sa forme spécifique, et paradoxale, d'à-quoi-bonisme: à quoi bon se fatiguer dans de rudes entreprises révolutionnaires puisque «l'histoire» œuvre pour nous?